« Je ne suis pas malade. Je suis brisée. Mais je me sens heureuse
de continuer à vivre, tant qu’il me sera possible de peindre. »
Frida Kahlo (1907-1954) est une artiste
peintre mexicaine.
Jeune fille émancipée, elle fait des études et s'intéresse à la
politique dans un pays en pleine révolution. Elle s'intéresse très jeune (15ans)
au fresquiste Diego Rivera, de 21 ans son aîné. Mais à 18 ans, un terrible
accident de la circulation lui laisse des séquelles à vie. Elle subit de
nombreuses interventions chirurgicales. Longuement alitée à plusieurs reprises,
c'est à l'aide d'un miroir qu'elle réalisera un grand nombre d'autoportraits. "Je me peins moi-même parce que j'ai beaucoup
de temps seule et parce que je suis le motif que je connais le mieux". Elle dépeint dans ses tableaux sa douleur, ses peurs, sa vie. Femme
émancipée et finalement mariée à Diego Rivera en 1929, elle s'engage dans le
parti communisme. En 1939 elle divorce de Riviera pour se remarier avec lui un
an plus tard. Elle meurt en 1954 après de nombreuses souffrances.
Les
Deux Frida
1939
huile sur toile
173 x 173,5 cm
Musée d'art moderne, Mexico,
Cette toile fut réalisé par l'artiste
mexicaine en 1939. Agée de 32 ans, l'artiste divorce cette année là
de Diego Rivera, avec qui elle vit depuis dix ans. Frida Kahlo ne souhaite pas
ce divorce et c'est une vraie déchirure pour l'artiste. Elle se réfugie dans le
travail et peint énormément de toiles cette année là, notamment ce double
portrait, qui évoque cette période difficile dans sa vie.
La toile représente au 1er plan deux portraits en pied (représentation
entière d'une personne debout ou assise),
quasiment grandeur nature, de l'artiste
assise sur un banc. Les deux Frida se tiennent la main. A l'arrière plan, un
ciel nuageux et orageux occupe les deux-tiers de l'espace de la toile. Le portrait
de gauche, face aux spectateurs, représente Frida Kahlo en robe blanche
traditionnelle mexicaine. Une déchirure au niveau de sa poitrine fait
apparaître son cœur écorché. Elle tient dans sa main droite une paire de forceps
(pince) qui pince une veine venant du cœur. Le visage de ce portrait est particulièrement
pâle. Le portrait de droite représente l'artiste avec le même visage plus
coloré, habillée d'une robe traditionnelle mexicaine bariolée, la tehuana. Frida Kahlo portait très
souvent cette tenue lorsqu'elle vivait avec son mari. L'attitude (jambes
écartées) de l'artiste et sa moustache plus marquée ici lui donne une allure masculine.
Au niveau de sa poitrine, on voit son cœur, intact, posé devant sa blouse. Elle
tient dans sa main gauche le portrait miniature de son mari enfant. Des veines,
émanant des cœurs, courent le long du corps des deux portraits et les rattachent
l'un à l'autre comme pourrait le faire un cordon ombilical.
Analyse
du tableau
"Les deux Frida" illustre la douleur
ressentie par l'artiste au moment de sa séparation avec le fresquiste Diego
Rivera. Dans son journal, au sujet de ce tableau, l'artiste évoque son amie
imaginaire qu'elle s'inventait plus jeune lorsqu'elle avait des problèmes. Dans
cette optique, il apparaît que la Frida de gauche, blessée, se
raccroche à la Frida de droite, son amie imaginaire, forte et réconfortante,
qui lui insuffle la vie dans une période difficile.
Ces deux portraits représentent l'artiste sous
deux aspects différents; celui de la femme mariée à droite et celui de la femme
divorcée à gauche. Parallèlement, ces deux portraits dévoilent deux côtés de sa
personnalité : son côté féminin et fragile à gauche et son côté masculin et
fort à droite.
A
droite, Frida s'impose comme l'épouse mexicaine, sans apparat. Son visage
affiche un caractère affirmé, elle porte sur le spectateur un regard fixe et
hautain. Son attitude et les traits de son visage sont masculins. Sa robe, costume
traditionnel de la ville de Téhuantepec, symbolise le système matriarcal mis en
place dans ce village. Jambe écartée, la moustache marquée, l'ombre du menton dessinant un semblant de bouc, elle apparaît au spectateur comme une
femme ayant pris le rôle de l'homme dans le ménage. Elle tient littéralement dans
sa main son mari qui est représenté comme un enfant. Elle fait donc ici figure d'autorité et emprunte le rôle de mère, rôle qu'elle ne peut pas tenir dans sa vie réelle.
Cette amie imaginaire incarne tout ce à quoi Frida aspire : être une femme, voir une mère forte ayant le pouvoir d'un homme. De la main droite, elle tient la Frida fragile, image de sa féminité et victime de ses souffrances. A cette
vision bipolaire de l'artiste se superpose un entrelacs de veines. En regardant
de plus près, on remarque que le cadre
du portrait de son époux est formé par une veine reliée au cœur de la Frida
de droite. Ce portrait de Diego est paradoxalement une partie nécessaire à son organisme
pour se maintenir en vie. Même si Frida apparaît au spectateur comme quelqu'un
de solide dans ce portrait, sa force ne tient qu'à ce détail. Sans lui, comme
c'est le cas dans le portrait de gauche, Frida perd son sang comme elle perd
ses couleurs. Robe blanche, visage blafard, le "cœur brisé", cette
Frida de gauche a dorénavant perdu son identité d'épouse (le
fait que la robe blanche soit devant la robe colorée, présente ce portrait comme
l'état présent du peintre et le second comme appartenant au passé).
Toujours en costume mexicain, mais cette fois sans identité régionale, la
couleur de la robe n'existe que par le rouge du sang, dont les éclaboussures se
mêlent aux petites fleurs en bas de sa robe. Aidée d'une pince, cette Frida empêche
son sang de couler mais son regard, qui est déjà loin, annonce au spectateur
qu'elle s'est vidée de tout espoir.
Si
Frida Kahlo utilise ses organes pour exprimer sa souffrance, c'est sans aucun
doute lié à ses multiples interventions chirurgicales qu'elle a subies tout au
long de sa vie. De façon paradoxale, elle tire de ces souffrances corporelles
sa force mentale et s'en sert comme image de ses blessures psychologiques. C'est
son organisme qui raconte son histoire et ses tourments dans la plupart de ses
tableaux.
à louer: le film retraçant fidèlement la vie de Frida Kahlo, ici la présentation :
à voir :
courtes vidéos présentant ses oeuvres : http://www.dailymotion.com/lefonddeloeil#video=x897yh
La colonne brisée, 1944
"Attendant l'angoisse contenue, la colonne brisée et le regard profond, sans pouvoir marcher sur le grand chemin, continuant ma vie, cernée dans de l'acier...si seulement il me caressait comme l'air touche la terre"
Contexte de l'oeuvre :
Peint en 1944, cette toile correspond à l'époque où la santé de l'artiste se dégrade. Depuis l'accident de bus dans lequel elle fut très gravement blessée en 1925, Frida souffre de nombreuses séquelles. Son bassin, ses côtes et sa colonne vertébrale on été cassés. Ni ses longues périodes d'alitement, ni ses différentes interventions chirurgicales qu'elle a subies, ne la soulagent durablement de ses douleurs. A 37 ans elle a dorénavant besoin de porter à nouveau un corset orthopédique pour soulager sa colonne et ce pendant 5 mois. C'est son énième corset...cette fois il est en métal et non en plâtre. Il lui reste 10 ans de souffrances insoutenables à endurer avant sa mort.
En plus de cette souffrance physique, Frida Kahlo souffre moralement depuis son mariage en 1929 des infidélités répétées de son époux Diego Rivera. Marié, divorcé puis marié à nouveau, le couple se déchire.
Présentation de "La colonne brisée":
1944
Huile sur bois aggloméré
40x30,5
Musée de Mexico
C'est un autoportrait de Frida Kahlo. Au 1er plan, l'artiste se représente debout au milieu du tableau face au spectateur. Derrière elle s'étend un paysage désertique et infertile présentant de nombreuses failles. Elle est nue de la tête au hanche avec un corset de métal ajouré, laissant voir son corps et sa poitrine. Le bas de son corps est enveloppé d'un drap blanc. Le tissu et sa peau sont transpercés par une multitudes de clous. Le corps de l'artiste est ouvert en deux dans son milieu et laisse apparaître à la place de sa colonne vertébrale une colonne de pierre antique de style ionique, brisée en multiples parties. Le haut de la colonne soutient le menton de l'artiste, dont le visage statique, fermé et digne n'exprime aucun sentiment. Des larmes sortent de ses yeux et semblent "pleuvoir" sur son visage. Le corset orthopédique retient les deux parties du corps qu'elle emprisonne telle une cage.
Analyse de "La colonne brisée" :
Grünewald, La crucifixion
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Frida Kahlo présente dans ce tableau une véritable mise à nu de ses souffrances et de ses sentiments. Elle dévoile les blessures de son corps en même temps qu'elle dévoile celles de son âme. "La colonne brisée" témoigne évidemment de l'accident qu'elle subit à 18 ans et des souffrances qu'elle endure depuis, mais le tableau présente également l'artiste blessée par les nombreuses infidélités de son époux. La peau de Frida est transpercée par de multiples clous, autant de clous que de blessures d'un amour bafoué. Elle apparaît crucifiée, tout comme le Christ de Grünewald au 15eme siècle. L'aventure que son mari Diego a entretenu avec la sœur de l'artiste l'a finalement anéantie. Ses larmes coulent silencieusement. Malgré ses souffrances physiques et morales, Frida, sacrifiée, reste digne, la tête droite, le regard fier. Soutenue par son corset elle traverse dignement cet immense moment de solitude et d'abandon, imagé par le désert à l'arrière plan, dont les failles expriment lui aussi les blessures de son cœur. On peut voir également dans ce paysage le symbole de l'infertilité de l'artiste. Frida, qui a eu le vagin transpercé lors de l'accident, ne peut pas avoir d'enfant. Son corps nu, qui dévoile toute sa féminité et maternité par ses seins, reste dramatiquement vide.
à voir :