PICASSO (1881-1973)
Autoportrait, 15 ans
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Né
en 1881 à Malaga, il passe sa jeunesse en Espagne. En 1891, son père, peintre, accepte un poste
d' enseignant à l'école de dessin "La Corogne", Picasso a 10
ans et il s'exerce au dessin alors qu'il sait à peine lire. En 1895, il s’installe
avec sa famille à Barcelone, son père enseigne à l'école très académique des Beaux-arts et grâce à lui,
Picasso, âgé seulement de 14 ans peut passer exceptionnellement le concours
d'entrée. Il se révèle être un véritable prodige et il est tout de suite admis.
L'enseignement de l'école est classique et Picasso maîtrise très vite et parfaitement
le dessin et la peinture. Deux
ans plus tard, il se présente au concours de l'Académie Royale de Madrid. Son succès
y est aussi éclatant qu'à Barcelone. A
16 ans, Picasso a atteint le plus haut niveau artistique des meilleures écoles
d'art d'Espagne.
Portrait de sa mère réalisé à 15 ans
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Les demoiselles d'Avignon, 1907
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A 19 ans il
expose pour la 1ere fois à Barcelone, dans la taverne artistique du "4
Gats" et part pour Paris. Il s'installe dans le quartier de Montmartre,
dans les ateliers du "Bateau-Lavoir". 7 ans plus tard c'est la création du
cubisme en 1907. La guerre 14-18 met fin à sa vie de bohême parisienne. Ses
amis sont mobilisés. Picasso trouve un nouveau souffle par sa rencontre avec
Cocteau qui l'amène en Italie. Son style picturale change. Son ami Apollinaire
meurt. C'est la fin du cubisme pour Picasso et le retour à la figuration
classique jusqu'en 1925.
Olga, 1917
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La danse, 1925
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Cette année là, "La danse" bouleverse le monde artistique. A l'origine de ce
changement brutal, son couple qui se disloque et l'apparition du mouvement surréaliste
l'année précédente avec les poètes Breton, Aragon, Eluard. "La beauté sera convulsive" dit le
surréalisme. Ce courant convient parfaitement à Picasso, qui peint à nouveau
"au-delà des choses", dans une réalité "sur-réelles". Une
décennie plus tard, en 1936, la guerre civile éclate en Espagne. Picasso,
bouleversé, prend cause auprès de Républicains espagnols contre le parti
fasciste de Franco. En mai 1937 le bombardement sauvage du village de Guernica
inspire à Picasso son tableau le plus tragique. La seconde guerre mondiale amène
Picasso à travailler sans relâche à Paris. Sa peinture est dite
"révolutionnaire" et son art est considéré comme
"dégénéré". Petite anecdote : Lors d'une perquisition dans son
appartement, des soldats voient son tableau de "Guernica" et disent : "c'est vous qui avez fait ça?"
Picasso répond : "Non, c'est vous". Après la guerre, Picasso rejoint
le sud de la France puis s'installe dans "le pays de Cézanne". Il y meurt
à l'âge de 91 ans.
Guernica, 1937
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Sa peinture a évolué en fonction de sa vie, de ses
drames, de ses rencontres et de ses amours.
Picasso peignait sans relâche, de façon acharnée. Partagé entre
l'Espagne et la France, il déménagea de nombreuses fois, il connut de nombreuses
femmes, il rencontra énormément d'artistes et de poètes. Sa vie fut riche et la
seule constance tout au long de sa vie fut sa peinture. Elle fut variée
et même si elle ne fut pas toujours fidèle à un courant artistique particulier, sa
peinture fut toujours sincère vis à vis de l'artiste, vis à vis du spectateur
et vis à vis de son sujet.
Autoportraits de Picasso1901, 1906, 1938, 1972
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Ces quatre autoportraits de Picasso, réalisés dans un laps de temps de 70 ans environ, présentent
des variations de formes et de techniques picturales. Ils sont représentatifs des
préoccupations et des penchants de l'artiste au moment où il les a créés. Durant
sa vie de peintre, Picasso a oscillé entre figuration et abstraction. Les deux autoportraits de
1901 et de 1906 appartiennent à la peinture figurative alors que ceux de 1938
et de 1972 se rapportent davantage à l'abstraction.
Quoiqu'il en soit, on
constate que ces quatre autoportraits sont tous difficilement identifiables et
ce pour une et même raison : le peintre n'a pas voulu se représenter à fin
d'être reconnu.
L'autoportrait de 1901
Huile sur toile
81x60cm
musée Picasso, Paris
Cet autoportrait appartient à la période bleue de l'artiste. C'est un autoportrait
basé sur les sentiments du peintre. Il ne cherche pas à être fidèle à son physique. Sa représentation n'est que la première
étape avant les modifications de couleurs et de détails que l'artiste va volontairement
effectuer pour exprimer son état d'âme.
Picasso
est triste, il vient de perdre son cher ami
Carlos Casagemas avec qui il avait
quitté l'Espagne pour rejoindre Paris et avec qui il partageait son atelier. C'est
une période difficile pour Picasso qui manque d'argent et qui n'est pas encore connu.
Picasso dira : "C'est en pensant à Casagemas que je me suis mis à peindre en bleu". Cette couleur est le symbole de sa tristesse et de sa mélancolie.
Petit rappel : La période bleue correspond aux années 1901-1903. Son nom vient du fait que les tableaux de cette période présentent tous un camaïeu bleu (monochrome : une seule couleur déclinée dans différentes teintes).
Analyse : Avec cet autoportrait, Picasso utilise la méthode expressionniste
de Van Gogh : le choix des couleurs pour exprimer sa solitude et sa tristesse : un camaïeu de bleu (couleur froide) plutôt sombre, qui contraste avec un visage blanc. L'ensemble est très sobre.
Devant un fond bleu uni
et profond, le peintre se représente en buste face au spectateur, le corps dissimulé par un manteau au col relevé
cachant son cou. Le manteau est traité très simplement avec peu de détails, un grand aplat de bleu sombre, cernés de noir à la manière du cloisonnisme de Gauguin .
Même chose pour les cheveux de l'artiste : un simple aplat de couleur identique
au manteau entoure le visage blafard,
creusé, à la barbe hirsute et rousse, seule note de couleur en dehors du bleu
omniprésent dans la toile.
Le tableau dégage une atmosphère calme et triste. L'utilisation de lignes verticales (le manteau) contribuent à ce sentiment d'immobilité que l'on ressent devant cet autoportrait. L'artiste apparaît ici dans toute son impuissance. Tel
un masque, son portrait au regard lointain, exprime tout le désarroi du peintre, qui ne peut rien faire contre les aléas de la vie.
Dans cet autoportrait Picasso ne cherche pas à être ressemblant, il ne fait qu'
afficher une vérité toute simple : celle que nos sentiments influencent notre
façon de voir les choses.
petit rappel
: L'expressionnisme, en arts plastiques, est un terme attribué à des peintures qui exprime une émotion intense. Le peintre représente son sujet en mettant l'accent sur la communication de son émotion. Il ne cherche pas à représenter de façon objective (fidèle à ce que l'on voit) la réalité. Ses choix plastiques et picturaux se font en fonction de ses sentiments du moment. Van Gogh annonce le courant expressionniste à la fin du XIXème).
voir la vidéo sur ce portrait et cui de 1972 : durée 2mn06
Autoportrait à la palette, 1906
46 x 56cm
Galerie
de Prague (République Tchèque).
Autoportrait
de style primitif précubiste (le cubisme de Cézanne)
Contexte : 1905, Picasso vit à Paris. Les "Fauves" exposent au salon d'Automne. Matisse en est le
représentant. Leur but est de simplifier les formes et de supprimer la
perspective pour ne construire un tableau que grâce à la couleur. Picasso
étudie les arts primitifs au Louvre à Paris en suivant les traces de Gauguin. Il
construit ses tableaux avec des éléments très simples mais contrairement à Matisse
ou Gauguin, qui construisent leurs tableaux par les aplats de couleurs, Picasso
construit son tableau par les volumes à la façon de Cézanne.
Cézanne travaillait
sur la simplification et transformation des formes naturelles en formes
géométriques essentielles : "Dans la nature, tout est sphères, cônes et cylindres". C'est donc la forme qui vient en premier et non le sujet ou la
couleur. Le but de cet autoportrait n'est pas de "copier" le sujet
mais de le construire.
Cézanne, Montagne Ste Victoire & viaduc de la vallée de l'Arc, 1882-85
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Présentation
: Picasso se représente ici en buste avec sa palette, face au spectateur.
C'est une autoportrait figuratif où les drapés et modelés permettent d'être
proche de la réalité. On constate que le tableau présente très peu détails et
que ceux existants ont été simplifiés. Le modèle est habillé très sobrement, la
coiffure et la palette ne présentent presque aucun détail. Le nombre des
couleurs utilisées est restreint (bleu-gris, beige rosé et noir) ce qui
participe à l'impression de calme et de sévérité dans ce tableau. Le portrait
est présenté devant un fond gris et seul la palette très schématisée du peintre
apparaît comme élément extérieur au sujet.
Le corps est le visage du modèle,
dépouillés de tous détails superflus, sont structurés, sculptés plus qu'ils
ne sont peints. On pense aux sculptures primitives ibériques, notamment dans le
traitement des paupières.
A gauche, sculpture ibérique datant du 4eme siècle av JC.
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Analyse
: D'apparence plutôt classique, cet
autoportrait rigide et trapu ne présente aucune expression de sentiments mais seulement le statut du peintre.
Cet autoportrait affichent à la fois les caractéristiques du
primitivisme des sculptures ibériques (couleurs
naturels faisant penser à la terre, au bois ou à la roche, traits simplifiés et
comme "creusés" ou sculptés)
et les recherches graphiques de Cézanne. Il annonce ce qui allait devenir le cubisme : Picasso
détruit la profondeur spatiale, la perspective, et peint des sujets aux formes
solides, volumineuses et simplifiées. La même année, son portrait de Gertrude Stein illustre également cette
recherche de construction par la forme.
Gertrude Stein
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petit rappel
:
le
cubisme est un mouvement
artistique apparu en 1907 avec Picasso et Braque. Le nom du mouvement vient d'une
expression donnée par le critique d'art Louis Vauxcelles, qui voyait dans ces
tableaux une construction faite à partir de " petits cubes".
Le cubisme apparaît dans la continuité de
Cézanne et de son travail sur la
création d'un espace pictural basée sur des formes géométriques et non plus sur la
copie de la réalité (chose que la photographie pouvait faire). La découverte et
l'étude des arts primitifs contribuent également à la remise en question de
l'art traditionnel occidental et ouvrent aussi les portes au cubisme. Les
sujets choisis restent les mêmes (portrait, paysage, nature-morte...) mais la
façon dont ils sont traités est révolutionnaire et annonce l'art moderne. C'est un art d'avant-garde (en avance
sur son époque) Il ne plaît pas toujours car là n'est pas son but. Le cubisme
ne cherche pas à fabriquer du "beau" ou une copie conforme à la
réalité. Le but du cubisme est de faire autrement, de faire ce
qui n'a jamais été fait et vu auparavant.
A la suite des prémices du cubisme par Cézanne, on distingue avec Picasso et
Braque deux phases importantes dans le cubisme :
1ere
phase : cubisme analyse la forme, il est
"analytique" : il
représente l'objet à partir de différents point de vue
selon la méthode binoculaire de Cézanne qui consiste à reproduire sur la
toile le point de vue de l'œil gauche juxtaposé à celui de l'œil droit.
L'objet est ainsi décomposé puis recomposé et ce sans l'utilisation de la perspective
(c'est la vision simultanée des deux yeux qui amène la perspective. Fermez un œil
et vous n'aurez plus la profondeur de l'espace).
Cubisme analytique
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2eme
phase : Le cubisme devient "synthétique" : Des éléments de la vie quotidienne tels des
coupures de journaux sont ajoutés à la peinture, de même que des éléments
décoratifs comme du bois ou marbre.
Cubisme synthétique
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L'autoportrait de 1938
Fusain sur papier.
34x26cm
Musée national Picasso, Paris
Une trentaine d'année se sont écoulées, Picasso a maintenant 57
ans et c'est un artiste reconnu. Son art est passé par différents styles allant de l'abstrait au figuratif.
Sa peinture a évolué depuis son portrait primitiviste de 1906. Après avoir
exploré les limites de la figuration avec le cubisme, Picasso est revenu à une
représentation classique dans sa période
"surréaliste" dans les années 20-30, puis son art a continué
d'évoluer en mixant les styles, les matières et les supports car l'art de
Picasso est avant tout expérimental, il est une recherche plastique incessante. Le choix de l'outil (fusain) ainsi que les multiples traces de gommage illustrent cette démarche perpétuelle et non aboutie de remise en question de son travail.
"je
veux dévoiler au spectateur quelque chose qu'il ne peut découvrir sans moi".
Il présente Picasso, en buste,
en train de peindre, palette et pinceau à la main. Le sujet en soit est
très classique : nombreux peintres auparavant se sont représentés dans cette
position mais la façon dont Picasso traite le sujet est tout à fait moderne.
Picasso n'est identifiable que par ces attributs. Le traitement de
son visage, hérité du cubisme, ne
permet pas de le reconnaître. A la fois de face et de profil (yeux de face,
tête de profil), son visage est un exercice de style à la manière égyptienne qui choisissait de représenter l'objet selon
son profil le plus représentatif (de profil pour le nez ou le pied, de face
pour les yeux...). Son bras droit semble détaché du corps et posé sur la
marinière (chemise à rayures).
Picasso recherche dans le trait du dessin et dans la fragmentation de la figuration, une nouvelle représentation du "je".
Veut-il cesser d'être reconnu? Doit-on voir un retour aux sources dans ce
dessin aux traits simples et utilisant la méthode de représentation égyptienne?
Picasso disait : "j’ai mis 4
ans pour peindre comme Raphael, mais une vie entière pour peindre comme un
enfant ».
L'autoportrait face à la mort
1972
Crayon à
la cire sur papier
65,7x50,5
cm
Fuji
Television Galery, Tokyo
C'est son ultime autoportrait réalisé environ 9 mois avant sa mort.
Il lui demanda plusieurs mois avant de pour pouvoir le finir. Il fait partie
d'une série d'autoportraits réalisés "en rafale", à quelques jours d'intervalle :
Dans cet autoportrait, le visage du peintre occupe toute la
surface du support. Elle est démesurément grande par rapport aux frêles épaules
qui la soutiennent. Les couleurs utilisées dans ce dessin sont des couleurs
froides : des bleus et violets allant jusqu'au
magenta (rouge primaire) ainsi qu'un un bleu-vert, beaucoup de blanc qui rend
les couleurs pastels, le tout rehaussé de graphisme noir. Les traits sont durs,
secs et anguleux. Le visage est creusé, presque squelettique. Le nez et les
yeux asymétriques (pupille dilatée que du côté gauche) sont exagérément grands.
Une barbe, à la fois bleue et noir, recouvre le bas du visage alors que des
rides bleues le sillonnent. Une ombre rouge magenta est projetée à la gauche de
la tête et des stries rouges couvrent le haut du crâne. La forme du visage rappelle
à la fois celle d'un crâne et celle d'un masque africain du fait de la
simplification géométrique des formes utilisées pour construire le visage.
Cet autoportrait est à la
fois violent et fragile.
Fragilité donnée par le choix des couleurs pastel et par la forme des sourcils relevés qui apportent au regard un
air déconcerté et égaré. Violent par son format qui ne laisse la place à rien
d'autre, par ses traits épais qui cernent les éléments du visages et par le griffonnage
agacé du bas du portrait.
Cet autoportrait est
démesuré : la taille de la tête est
exagérément grande par rapport aux épaules osseuses et fragiles. Elle va
jusqu'à dépasser le format du papier en haut. Les yeux sont écarquillés, les
pupilles dilatées et le nez disproportionné.
C'est un autoportrait de l'extrême. Picasso est à l'extrémité de sa
vie, il est malade, fatigué (son visage est creusé et marqué par les cernes). Il
sait qu'il lui reste peu de temps et pourtant il a encore tellement de choses à
peindre! Il semble désemparé, à la fois inquiet (voir les deux rides aux
extrémités centrales des sourcils) et impuissant face à cette fatalité. Son regard
est troublant et poignant. Le grand Picasso dévoile ici finalement sa vulnérabilité.
"L'autoportrait face à
la mort" ne concerne plus seulement le spectateur ni une démarche artistique, il concerne le
peintre lui-même. C'est le peintre regardant droit dans les yeux sa fin proche.
Les principaux styles picturaux de Picasso :
Les différents styles de Picasso
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