Paul Gauguin (1848-1903)
Paul Gauguin |
Né
à Paris, Gauguin passe une partie de son
enfance à Lima au Pérou puis rentre en France avec sa mère. Il travaille en
tant qu'agent de change avant de devenir peintre à l'âge de 36 ans. Il quitte sa
femme et ses enfants au Danemark à fin de se consacrer entièrement à sa
passion. Il quitte Paris, s'installe à
Rouen et se rend régulièrement en Bretagne, où il rencontre Emile Bernard, avec
qui il créé l'école de Pont-Aven. Sa
rencontre houleuse avec Van Gogh (celui-ci se coupe l'oreille après une
altercation avec Gauguin) entraînera chez le peintre une vague de mysticisme.
C'est l'époque du "Christ jaune".
Finalement, en 1891, déçu par les continuelles critiques envers ses oeuvres et voulant s'éloigner
du monde "civilisé", Gauguin organise une vente publique de ses toiles
et part pour la Polynésie durant 2 ans. Malade, il rentre à Paris, où il fait
la connaissance de Maurice Denis. Il retourne en Polynésie. Il meurt en 1903
aux Marquises.
« J'aime la Bretagne : j'y retrouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture. »
"Le Christ jaune", 1889
En septembre 1889, Gauguin vient séjourné à Pont-Aven en Bretagne pour s'éloigner des agitations de la capitale en pleine révolution industrielle. Il réalise à ce moment là la toile du "Christ jaune" d'après le Christ en bois polychrome du XVIIIème siècle de la petite chapelle de Trémalo située à côté du village de Pont-Aven. C'est un tableau à la fois religieux et champêtre.
En septembre 1889, Gauguin vient séjourné à Pont-Aven en Bretagne pour s'éloigner des agitations de la capitale en pleine révolution industrielle. Il réalise à ce moment là la toile du "Christ jaune" d'après le Christ en bois polychrome du XVIIIème siècle de la petite chapelle de Trémalo située à côté du village de Pont-Aven. C'est un tableau à la fois religieux et champêtre.
Gardien de porcs, 1888 |
Le tableau présente un
ensemble dominé par la couleur jaune. Un paysage automnale et champêtre s'étend
devant le spectateur avec à son arrière plan le village de Pont-Aven et la
colline Ste Marguerite. C'est la vue que le peintre a depuis son atelier situé dans
le petit village de Lézaven (vue qu'il utilisa dans un autre tableau nommé : Gardien de porcs). Le tableau est coupé
en deux dans sa verticalité par la croix du christ crucifié. Au 1er plan, au
pied de la croix, trois bretonnes, identifiables par leur habit et coiffe traditionnels, se
recueillent. L'une d'entre elle, située en bas à droite du tableau n'apparait
qu'en partie de dos et on ne voit que sa coiffe. Gauguin avait déjà utilisé cette
disposition dans son tableau La vision du sermon.
Les deux autres bretonnes du "christ jaune" sont situées au 1er plan à gauche et apporte la seule
partie sombre au tableau.
La vision du sermon, 1888 |
La composition du tableau repose littéralement
sur la croix : les bras de celle-ci plafonnent
la toile alors que le tronc sert de pilier au paysage. Cette importante
structuration de l'espace est cachée par le christ dont les couleurs sont
identiques à celle des champs en arrière plan. Des arbres orangés dispersés
dans le paysage, reprennent la couleur du bois du haut de la croix, tandis
qu'un muret de pierre reprend la couleur des coiffes des bretonnes et du ciel. Ces éléments du paysage,
qui permettent aux couleurs de circuler dans le tableau, guident le regard du
spectateur vers l'arrière plan du tableau. De la même manière le personnage
sombre escaladant le muret au 2nd plan reprend la teinte des deux bretonnes de
gauche et amène le regard du spectateur vers les toits gris foncé des maisons
du village situé à l'arrière plan. Dans le haut du tableau, le ciel et la
végétation à l'horizon sont d'une
couleur froide violacée, couleur complémentaire du jaune. Même si cette toile
est très lumineuse, l'œil du spectateur est apaisé par l'emploi des couleurs
complémentaires qui respecte la loi du contraste simultané de la couleur élaborée par Mr.
Chevreul.
Petit rappel (cf : https://cours.etsmtl.ca/sys844/Documents/Document12.pdf) :
Il existe 3
couleurs primaires : le bleu cyan, le rouge magenta et le jaune. Toute couleur
a une complémentaire (située à son
opposé sur le cercle chromatique). Le bleu a pour
complémentaire le orange, le rouge a le vert et le jaune a le violet. Comme on
peut le constater, la couleur complémentaire est obtenue par le mélange des deux
couleurs primaires non utilisées. Si
nous regardons une couleur, notre œil exige physiologiquement sa couleur complémentaire
: lorsque l'on regarde longuement un lampe rouge et que l'on ferme les yeux,
on voit apparaître la silhouette de la lampe non pas en rouge mais en vert. Le vert et la
complémentaire du rouge. Dans ce tableau
très jaune, l'œil du spectateur "s'attend" à voir du violet à tel
point que les gris lui paraîtront violet. Gauguin a utilisé du violet (bleu +
rouge) pour accentuer cet effet.
Analyse du "Christ
jaune"
éstampe japonaise |
Dans ce
tableau Gauguin n'a pas cherché à rester fidèle aux couleurs de la réalité. De
même il n'a pas souhaité transcrire les modelés des volumes. L'ensemble est
formé par des aplats (surface de couleur sans dégradés et sans volumes) de couleurs
cernées (entourées) comme on pourrait le voir dans un vitrail ou dans des
estampes japonaises. Cette technique s'appelle le cloisonnisme et elle fut mise en place en 1886 par Gauguin et Emile Bernard à l'époque où ils ouvrent leur Ecole
d'art de Pont-Aven.
Dans "le christ jaune", les formes sont
simplifiées et sans relief, elles sont représentatives du style primitif du peintre. La perspective
classique n'est pas utilisée et on ne devine les différents plans du tableau
que par la proportions des éléments les uns par rapport aux autres (bretonnes grandes
car proche, maisons petites car loin). Le spectateur n'est pas invité à
"entrer" dans le tableau, mais à le lire de haut en bas ou de gauche à droite. Ce
tableau est exclusivement construit pour la couleur dans le but de créer un espace idéalisé, où
les figures deviennent symboles.
Gauguin
propose ici deux sujets unis par la croix, figure centrale du tableau. Cette
scène peut -être une scène de vie, où des bretonnes viennent se reposer au pied
d'un calvaire à la sortie du village. Elle peut aussi être le représentation d'un
des épisodes de la Passion : la crucifixion de Jésus avec en arrière plan le
Golgotha et au pied de la croix Marie-Madeleine et les saintes femmes.
On peut voir
dans la figure du christ un autoportrait du peintre, exprimant sa douleur
existentielle tout comme il la
retranscrit dans son triple autoportrait intitulé "Autoportrait au christ jaune" peint 1 an plus tard. Gauguin
s'y représente une 1ère fois fidèle à ses propres traits, une 2nde fois
idéalisé dans la figure du christ jaune et une 3eme fois dans les traits
grossiers d'un pot en terre. Le fait qu'il reprenne dans ce triple autoportrait
la représentation fidèle de son tableau du "christ jaune" sous-entend qu'il s'y représenté déjà en tant
que martyre. En effet, à cette époque, Gauguin
souffre beaucoup de son statut de peintre incompris de sa femme, il l'a quitté,
laissant aussi derrière lui ses enfants.
Albert Aurier |
Comme nous
l'avons vu, ce tableau propose un espace en deux dimensions, infidèle aux
règles de la perspective instaurés à la Renaissance. Ce choix permet à l'artiste
d'exprimer des réalités spirituelles plutôt que figuratives. Gauguin
se rattache ainsi au symbolisme, dont la définition fut donnée par le
critique d'art par G.A. Aurier dans un article qu'il publia au sujet du travail
de Gauguin : « L'œuvre d’art devra
être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de
l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme,
troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un
mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y
sera jamais considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le
sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative. »
Analyse de " L'autoportrait au Christ jaune" 1889
Huile sur toile
38x46
Musée d'Orsay, Paris
Huile sur toile
38x46
Musée d'Orsay, Paris
Autoportrait, Poussin |
Gauguin se représente dans ce tableau devant ses oeuvres
comme le peintre Poussin le fit au 17eme siècle. Le tableau s'organise en trois
parties. Au centre, Gauguin se représente de trois-quarts, en clair-obscur (contraste violent entre la lumière et
les ombres) avec une
palette de couleurs froides : bleu, violet. Derrière son buste la toile se divise en deux parties verticales
qui s'opposent plastiquement et symboliquement. Elles correspondent respectivement à la reproduction
de deux œuvres de Gauguin. Sur la partie gauche de la toile se trouve la reproduction de son "christ jaune" peint l'année
précédente. Cette partie du tableau est claire. Sur la partie droite du tableau, sa céramique rouge "le pot de tabac", modelé à son image est posée sur une
étagère. Cette partie du tableau est sombre .
On peut voir dans cette toile trois autoportraits de
l'artiste. Gauguin se représente sacrifié, crucifié dans son "christ jaune" . Incompris et
critiqué dans le milieu de la peinture, abandonné par sa famille, il ne trouve
pas sa place dans le monde moderne de la ville des lumières qu'est Paris . Il
s'y sent sacrifié. Pourtant c'est ce mal-être qui l'amène à la peinture puis en Bretagne et en Polynésie.
Il semble trouver dans cette mystification une paix intérieure. La couleur
jaune est chaude et rassurante, elle éclaire la toile comme elle éclaire
l'esprit de l'artiste.
Pot de tabac, Gauguin |
A l'opposé, "le
pot de tabac", cloisonné dans un fond noir, isolé du reste de la toile,
affiche le visage tassé et torturé du peintre. Gauguin est un homme seul,
délaissé avec des besoins primaires critiquables tels que boire, fumer,
peindre... il a surement voulu représenter ce côté primitif et répréhensible avec ce pot de céramique. Il
décrivait ce pot comme "la tête de Gauguin, le sauvage". Ce pot de
terre rouge, pétrifié par le feu, incarne la souffrance et le caractère indompté et sombre du peintre.
Les jeux de regards |
On peut remarquer que le regard des deux portraits à l'arrière plan sont dirigés vers le portrait central et que c'est cet autoportrait au 1er plan seulement qui, en même temps qu'il pose son regard sur le spectateur, s'échappe du tableau.
Contexte
artistique exceptionnel
A la fin du 19eme
siècle , les artistes d'avant-garde ne cherchent plus à produire une
représentation fidèle de la réalité. C'est la photographie qui se charge
dorénavant de cela. Depuis plusieurs années, les impressionnistes, par leur
façon de peindre, ont cassé les règles de la peinture classique. Ainsi, libérés
des exigences passées de l'art académique, et voulant aller plus loin que leur rôle de
"copistes de la nature", les avant-gardistes vont s'orienter vers différentes prospections.
Trois d'entre eux permettront à l'art d'évoluer vers 3
grands courants artistiques de l'art moderne :
Cézanne ouvre la voie au cubisme par l'intérêt qu'il porte aux
formes et volumes à la recherche d'un ordre et d'un équilibre du monde.
Van Gogh, insatisfait par la
recherche des effets de la lumière des impressionnistes, cherche à développer
l'expression et les sentiments du peintre. Il ouvre la voie à l'expressionisme.
Gauguin, insatisfait par la simple
retranscription de la nature des impressionnistes, il veut s'adresser, non plus
au regard du spectateur, mais directement à son esprit et à son imagination. Il
pense pouvoir y arriver en revenant à des formes et sujets plus simples et plus
authentiques comme ceux des peintures primitives. Il créé ainsi le courant synthétiste,
il ouvre la voie au primitivisme et
à ses différents formes.
Le synthétisme est un genre
artistique issu à la fois du
cloisonnisme et de l'art primitif.
Du cloisonnisme il emprunte le refus du détail et l'utilisation des aplats de
couleurs cernés de couleurs sombres. De l'art
primitif, ils garde le refus des bases de peinture académique et recherche à
exprimer une vision plus primitive, authentique et naturelle du monde en
opposition avec la société industrielle de l'époque. Gauguin disait
: "La vérité, c'est l'art cérébral pur,
c'est l'art primitif". Ces peintres vont donc s'intéresser
à la découverte d'art non européen; l'art oriental, africain ou océanien. Gauguin
ira en Bretagne puis jusqu'à Tahiti pour
retrouver les valeurs et l'authenticité d'un monde épargné par l'expansion
économique. "Le Christ jaune"
est par son sujet et son style très représentatif du synthétisme (cloisonnisme
des formes et expressions du primitivisme breton).
à voir :
émission Palette en VOD : http://www.artevod.com/detailFiche.do?ficheId=829
l'exposition de Quimer, Gauguin :
http://www.youtube.com/watch?v=TRMn51TKs44&feature=related
quelques oeuvres en musique : http://www.youtube.com/watch?v=dg2-94JQ38M&feature=related
à voir :
émission Palette en VOD : http://www.artevod.com/detailFiche.do?ficheId=829
l'exposition de Quimer, Gauguin :